A l’heure des vœux, l’exercice est délicat, car au-delà du traditionnel souhait de « Bonne Année », aussi sincère soit-il, et au-delà d’une formulation originale, aussi innovante soit-elle, il y a cette intention profonde de s’adresser directement à l’autre, comme à l’occasion d’une rencontre insolite.
Je ne me satisfais pas de la médiation d’un courriel, car ce facile « clic » de l’onde électrique ne remplacera jamais la présence de l’autre, la vibration de la voix, le regard pétillant dans l’ « Ici et Maintenant » des corps à proximité.
Moi qui pour le moment m’abstiens de tout semblant de dialogue sur les réseaux sociaux, je voudrais être auprès de toi et te parler à toi, compagnon de route et de pensée (cela vaut bien pour le féminin aussi !), à toi l’ami d’action et d’affection, à toi spectateur fidèle et à toi qu’on ne voit parfois qu’une fois, à toi qu’on ressent dans la pénombre d’une salle, à toi qu’on salue du haut de la scène ou le verre à la main dans la convivialité de l’après spectacle, à toi organisateur et toi responsable qui nous assure une confiance au long cours, à toi qui t’aventure avec nous sur les chemins de l’enchantement théâtral auquel nous tenons tant, et peu importe la durée de l’aventure pourvu qu’elle soit franche et délicieusement partagée !
Et je ne t’oublie pas, toi qui vis à des années lumière de l’univers théâtral mais qui demeure toujours mon frère, ma sœur de culture.
Alors que dire à tous ceux, proches ou lointains, qui croient à la frêle flamme de la parole poétique au cœur de l’assemblée théâtrale, foyer de la démocratie culturelle, où le miroir du monde et des hommes nous pose ses éternelles questions ?
Sans doute est-il trop ambitieux de notre part de vouloir inscrire notre démarche dans une quête philosophique et sociétale ?
Pourtant qu’en serait-il d’un monde abandonné au mercantilisme triomphant, à la marchandisation forcée et aux esprits pusillanimes, sans aucun dessein utopique ?
Oui, au risque de nous répéter, nous poursuivons l’inlassable recherche, à tâtons peut-être mais avec lucidité, des manières de raconter le monde et d’agir pour voir l’invisible. Une manière de faire et dire le théâtre afin qu’il fasse la lumière sur la relation humaine - fut-elle d’un clair-obscur critique – et de révéler les autres mondes possibles.
Notre expérience essaye de mettre la relation humaine doublement au centre de nos préoccupations : par le contenu même du propos théâtral et par le processus de réalisation qui valorise le lien social.
Même si la réalité complexe d’une action collective, loin d’être idyllique, comporte son lot de contradictions et d’imperfections, nous parvenons à démontrer que l’esprit de solidarité et de responsabilité permet d’atteindre des objectifs communs, tournés vers les autres.
L’incontournable esprit d’équipe (de « camaraderie » dirait Camus) et le désir de partage d’une émotion commune, d’une esthétique, d’une écriture, d’une pensée, d’une parole, d’un geste, d’une respiration… peuvent contribuer à l’émergence d’une certaine joie d’être ensemble, fut-elle éphémère !
2014
Je pense qu’il en est allé ainsi, au cours des grands et petits moments de l’année 2014, car l’immense majorité de nos actions culturelles naissent de relations amicales, de rencontres empathiques, de causes communes, d’engagements associatifs, de coups de cœur suite à l’une de nos représentations…
Prenons les tournées à l’étranger, ne se concrétisent-elles pas grâce à d’authentiques relations humaines ?
La formidable et émouvante tournée de « Révolte dans les Asturies » de Camus, en Espagne (Pays Basque –Bilbao- et sur les lieux mêmes de la rébellion des mineurs asturiens -aux alentours d’Oviedo) n’aurait pas été possible sans la mobilisation citoyenne des militants de la CNT (Confederacion Nacional de los Trabajadores). Lesquels ont accueilli notre troupe forte de 27 personnes et organisé 5 représentations en des lieux différents pour plus de 600 spectateurs !
C’est suite à une fascinante succession d’échanges sur l’œuvre d’Albert Camus dans des colloques internationaux à Lourmarin, Kingston (Canada), Cerisy (Normandie) que des étrangers se sont passionnés pour notre travail sur le théâtre de Camus et ont souhaité notre présence dans leurs Pays.
Hier ce fut au Japon (Osaka, Kyoto) où étudiants et enseignants ont découvert et commenté notre vision des pièces de Camus. Demain, si tout va bien, ce sera aux USA.
Avec le Japon, le Trac effectuait sa 50ème escapade à l’étranger, dans le 25ème Pays !
Comme de coutume, il serait juste et équitable de faire le tour de l’intense réseau relationnel qui a, une fois encore - en 2014 - fait le bonheur de la Troupe et, nous l’espérons, celui des spectateurs.
Mais quand je vous aurais dit que pendant l’année écoulée, le Trac et le Pôle ont diffusé 19 spectacles différents, dont 5 séries de contes et 2 lectures ; que cette diffusion totalise 80 représentations dont 54 dans les communes de moins de 3000 habitants, vous comprendrez aisément qu’on ne puisse rendre compte de tout.
Toutefois au fil de la mémoire collective s’imposent certaines images : l’émotion palpable autour de « Terres de Poilus », les mines réjouies et les rires auprès des lavoirs où l’on tentait de savoir « qui est enterré sous le lavoir ? », l’ovation à la dernière de « Ô Bal Prévert » au festival de Charleval, la nuit de l’insurrection poétique -au Printemps des Poètes- avec entre autre la création du Pôle : « L’Homme qui rit » de Victor Hugo, par les jeunes musiciens de Yaman, l’inépuisable source à contes de nos conteurs, les bouffons et troubadours déambulant dans les ruelles de Venasque, Vacqueyras et Crillon le Brave… et la joie des jeunes polonais lors de leur séjour à Beaumes !
2015
Certains de ces spectacles, ainsi que certaines « Visites en Scène » avec la CoVe, et bien entendu, les activités régulières comme les ateliers, les formations, les accueils, les résidences, les rencontres … vont se perpétrer en 2015.
Mais 2015, verra aussi la fin du cycle de l’Insurrection poétique, mis en place au sein du Pôle Culturel, avec la création « Résistance – Maquis Ventoux », en partenariat avec Musique en Venaissin, la MJC de Bedoin et l’association Taxi Pantaï.
Avant ce rendez-vous printanier avec l’histoire locale, les poètes de la Résistance et les Rando-résistances, le Trac vous proposera au cœur de l’hiver - début février - une création originale d’après la vie et l’œuvre de Fabre : « Secte – Insectes ou Si J.H. Fabre m’était conté par… les insectes ».
Nous poursuivrons notre recherche anthropomorphique et linguistique en compagnie du règne animal avec une création pour jeune public : « Un animal, des Ani-Mots ».
Auparavant, début mars une nouvelle version de « L’Avare » verra le jour (car une année sans Molière est une année sans lumière), mise en scène par Hervé Bonzom, dont la première devrait avoir lieu aux … Etats Unis !
Toujours à l’écoute du monde, du ludique au politique, du tragique ou du comique au poétique, c’est dans cet esprit que l’on s’apprête à aborder dès 2015, le prochain cycle du pôle culturel : « Le sacré » ou plus précisément « Le jeu du hasard et du sacré », en posant la question irrévérencieuse du lien entre le rire et le sacré.
Comme il nous est déjà arrivé d’explorer des thèmes « prémonitoires » chargés de questions à la fois de notre temps mais aussi intemporelles et universelles (« eXXiLs » - les migrations, « Rapport Lugano » - la mondialisation, « La prière de la peur », « Jésus de Palestine » - violence et religions… , nous souhaitons aborder le rapport au sacré à travers le prisme fantastique que nous offre le jeu de l’enchantement théâtral, en nous plongeant – aussi paradoxal que cela puisse paraître – dans les comédies de Shakespeare et d’Aristophane !
Le rire au secours du sacré car le sacré, à nos yeux, est trop essentiel pour le laisser aux sacrificateurs.
Voilà de quoi engager l’âme et les méninges sur les scènes jubilatoires du monde !
Vincent
P.S.: Avant que ce P'tit écho ne parte, nous avons appris comme vous tous la tuerie de Paris. Les gens de ma génération ont beaucoup appris (même dans les désaccords) de l'esprit Hara Kiri ( sans oublier La Gueule Ouverte, certainement le premier canard écolo), puis de Charlie Hebdo et son économiste iconoclaste : Bernard Maris. Lequel nous a inspiré lors de notre création "Rapport Lugano", notamment avec son livre "Lettre ouverte aux gourous de l'économie qui nous prennent pour des imbéciles".